Bugonia: Espoir obsolète.
- jacquotnoah100
- il y a 5 jours
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Moins de deux ans après Kinds of Kindness, sorti en juin 2024, le prolifique cinéaste grec Yorgos Lánthimos ajoute une nouvelle unité à la désormais quadrilogie de sa collaboration avec Emma Stone.
Manipulatrice cruelle dans La Favorite ; hybride femme-nourrisson dans Pauvres Créatures et triple rôle dans Kinds of Kindness, l’actrice américaine incarne désormais, dans Bugonia — présenté en septembre à la Mostra de Venise et cette semaine en salles — une grande cheffe d’entreprise kidnappée par des complotistes persuadés qu’elle est une alien.
Adaptation du film sud-coréen Save The Green Planet! de Jang Joon-hwan, le nouveau film de Yorgos Lánthimos alerte et s’inquiète d’une humanité en crise, dans un récit fidèle au style du cinéaste : toujours libre, jamais attendu.
Briser pour mieux raconter
On associe souvent Yorgos Lánthimos à un cinéma « bizarre » ou « original ». À vrai dire, il n’y a de bizarre dans son œuvre que la liberté dont elle est empreinte, liberté à laquelle le cinéaste reste très fidèle. Cette liberté fait de sa filmographie un puzzle harmonieux pourtant composé d’objets de cinéma très disparates. Il y a, en effet, dans toutes les propositions du réalisateur grec quelque chose de nouveau, et Bugonia ne déroge pas à la règle ; il confirme même un certain manichéisme quant à l’appréciation de son œuvre (loin de moi l’idée d’une quelconque « politique des auteurs »).
À l’image de ses personnages conspirationnistes qui n’agissent jamais comme on peut le prévoir, Lánthimos ne cesse de briser ce qu’il construit. Dès l’introduction, un peu lourde certes, les personnages qu’il s’efforce d’opposer au maximum se retrouvent vite au même niveau. La scène géniale de capture transforme Emma Stone, grande PDG propre sur elle, en véritable proie, pieds nus, courant dans l’herbe.
Les deux complotistes, habituellement cyclistes, se retrouvent à conduire le SUV luxueux de leur captive ; elle-même bientôt chauve et enduite de crème antihistaminique, rappelant Charlize Theron dans le Fury Road de Miller.
De même, quand le dialogue commence à peu près à s’établir, Jesse Plemons se met à hurler — presque aussi fort que les violons —, brise une chaise et, par la même occasion, le rythme lancinant que Lánthimos s’était efforcé de créer ; à tel point que le travelling éclair du saut olympique de Plemons sur le cou de sa proie fait l’effet d’un choc (sentiment de spectateur très agréable). Le ton en prend des coups aussi, atteignant des allures tragiques plus froides que jamais avant de retomber dans un absurde aussi comique que pathétique.
C’est donc en prenant exemple sur ses personnages, qui pratiquent l’auto-castration en quête de liberté, que Lánthimos — la comparaison semble douteuse — se libère d’une narration linéaire pour mieux illustrer la folie (ou le génie) de ses protagonistes et le fossé qui les sépare.
La fin prochaine
Car ce fossé ici exprimé est bien central dans le film.
Si Lánthimos décrit des personnages aussi extrêmes, c’est pour bien montrer comment ils ont été façonnés. Ces complotistes ne sont rien d’autre que des enfants traumatisés — c’est par l’évocation du passé que le tragique apparaît — et abandonnés par la société. Au même plan, cette grande cheffe d’entreprise pharmaceutique, aussi cruelle qu’elle puisse être, subit aussi les mécanismes de cette même société (violence, torture…) ; notamment dans une scène de chaise électrique insoutenable (rappelons que la peine de mort est encore légale dans 27 des 50 États américains).
Le mot « alerte », utilisé plus haut en introduction, n’est à vrai dire pas tout à fait correct. Lorsque l’on regarde vraiment Bugonia, l’espoir n’inonde pas l’écran : il n’y a pas vraiment d’alerte ni de mise en garde, mais plutôt une véritable tragédie de l’humanité qui se veut ouvertement misanthrope. Pour Lánthimos, la fin est proche ; et elle semble logique, nécessaire, presque heureuse, à en croire la magnifique séquence finale qui prend plaisir à esthétiser l’apocalypse dans un style d’expo photo, donnant un aspect universel à ce récit perdu au fond de la campagne ; tout cela sur un air qui, dénotant de la BO grinçante, donne à respirer sereinement… mais plus pour longtemps.
Conclusion
Avec Bugonia, Yorgos Lánthimos réinvente à nouveau son style avec autant de cruauté que d’inventivité. Dans un récit qui pourrait paraître « mineur » dans sa filmographie, il trouve à nouveau un équilibre qui n’appartient qu’à lui et livre un film hybride très puissant qui s’autorise tout.






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